Entretien avec Pierre-Emmanuel CLAIR, chef de chœur

Pourquoi la musique, d’où vous vient cet intérêt ?

Au début de votre carrière vous avez chanté les grandes œuvres de l’époque romantique, qu’est-ce qui vous a conduit au Baroque ?

La musique romantique impose certains paramètres de puissance pour convenir au style musical, la facture instrumentale et la technique des interprètes a dû s’y adapter. J’ai été formé d’abord à la vocalité romantique, mais je sentais que cela ne correspondait pas à ma nature vocale. C’est pendant mes études de direction que j’ai pu accéder à une étude musicale beaucoup plus large et subtile grâce à mon professeur HAYRABEDIAN, directeur musical de Musicatreize. Ces années de formation en direction ont été une grande révélation pour moi, autant du point de vue de la direction que de la vocalité. J’ai pu comprendre beaucoup de choses dans les différentes façons de chanter, d’interpréter, d’appréhender la musique.

Ensuite, en tant que chanteur, j’ai interprété beaucoup de musique Baroque et contemporaine dans divers ensembles professionnels. Je suis parti par la suite en quête d’outils et de connaissances. J’ai complété mes études par un cursus en écriture et analyse musicale au conservatoire de Marseille, et des études de musicologie jusqu’au Master II en 2011 à la Faculté des arts, lettres, langues et sciences humaines en Aix-en-Provence.

Dans ma pratique professionnelle en tant que chef de chœur, au fil des années je me suis tourné vers la musique Baroque. J’ai toujours été très attiré par la musique de Claudio MONTEVERDI et Johann Sebastian BACH. Je sentais que dans la compréhension de la musique fin Renaissance et jusqu’à fin Baroque, il me manquait des clés.

C’est alors que j’ai rencontré Christian RICHE. J’ai d’abord appris de son expérience de 30 ans de claveciniste. Il m’a ensuite conseillé de faire des recherches du côté de la rhétorique musicale. Il savait qu’il y avait là beaucoup de choses à comprendre, et certainement les clés qu’il nous manquait. J’ai démarré ces recherches en 2019 et après quelques mois d’études cela a été une révélation. Tout un pan de compréhension de cette musique s’ouvrait à moi. J’ai d’abord étudié de nombreux écrits de musicologues et musiciens (BARTEL, LOPEZ CANO, CIVRA, etc). J’en suis maintenant à lire les traités originaux (BURMEISTER, MERSENNE, MATTHESON, QUNITILIEN, etc) et les recouper pour continuer à comprendre un langage qui n’est plus le nôtre, et qui a pourtant façonné notre civilisation.

Je continue ce travail en vue de poursuivre ma formation et de présenter une thèse sur le lien entre rhétorique et direction musicale.  Je trouve fascinant d’analyser puis de construire son interprétation d’une œuvre de ce point de vue.

Vous travaillez en étroite collaboration avec le claveciniste Christian RICHE. Comment cette collaboration a-t-elle enrichi votre musique ?

Comme je l’expliquai, la rencontre avec Christian a été décisive pour moi et nous continuons à travailler en étroite collaboration, c’est quelqu’un qui sait réunir des gens passionnés autour de lui et qui est toujours d’un conseil très éclairé et motivant. Dans un premier temps, Christian a été influencé par l’approche de Gustav LEONHARDT, figure de proue adulée et controversée du renouveau du clavecin historique ainsi que des techniques adaptées à l’instrument et à l’époque. Christian m’a fait découvrir ses méthodes d’analyse, de compréhension et de rendu de cette musique. Ensemble, nous les mettons en pratique dans la production d’œuvres vocales et instrumentales.

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour créer l’ensemble vocal TALEA ?

Je voulais vraiment une expérience où je pourrais mettre en pratique toutes mes recherches et créer un ensemble d’amateurs passionnés, que je puisse former à ces techniques, pour accéder à un niveau semi-professionnel adapté à l’exploration du grand répertoire de MONTEVERDI et BACH. J’ai toujours rêvé de produire les Vêpres de MONTEVERDI et les passions de J.S. BACH, mais pour cela j’avais besoin d’un groupe qui soit capable de chanter les complexités de cette musique, qui ait envie de la découvrir et de s’y investir. TALEA est un groupe de chanteurs qui fait tout son possible pour avancer dans cette direction. Je suis perpétuellement en recherche musicologique et perfectionnement musical ; cet ensemble me suit et m’encourage dans cette direction, c’est passionnant.

Quelles réalisations espérez-vous accomplir dans les 10 prochaines années ?

Il y a trois volets que je souhaite poursuivre :

• Former des chanteurs : l’aspect pédagogique de mon activité est très important, c’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime travailler autant avec des amateurs qu’avec des professionnels.
• Développer une Maîtrise de bon niveau pour pouvoir interpréter des grandes œuvres adaptées à la voix des enfants.
• Créer un ensemble instrumental Baroque.

Il semble que vous soyez de plus en plus concentré sur le Baroque.

Je préfère perfectionner mon art en me spécialisant pour devenir performant dans un seul style de musique que de risquer de m’éparpiller. Au sein du Baroque, si on l’étend depuis la fin de la Renaissance jusqu’au début de la période classique, je peux explorer un large éventail de styles et de compositions :

• La fin de la Renaissance, avec Carlo GESUALDO DA VENOSA et Marenzio LUCA,
• Le début du Baroque avec les innovations de MONTEVERDI jusqu’à l’apogée de BACH,
• La transition de l’Empfindsamkeit avec les fils BACH,
• Le début du classicisme avec par exemple Joseph HAYDN, qui emploie encore un code rhétorique musical Baroque, pour aller jusqu’à Wolfgang Amadeus MOZART.

Avec le chœur l’Echo des Vagues, le deuxième chœur que je dirige, nous explorons des œuvres composées pour grand chœur et orchestre comme la Passion selon St Jean de BACH. TALEA se concentre davantage sur des compositions pour ensemble vocal plus réduit, a cappella ou avec juste un clavier ou seulement quelques instruments.

Une piste que j’aimerais vraiment explorer serait les œuvres peu connues de compositrices Baroques :  Maddalena CASULANA (1544-1590) qui fut la première musicienne occidentale à avoir fait imprimer et publier un livre entier de sa musique, ou Barbara STROZZI (1619-1677) qui a publié huit volumes de sa propre musique.

Mais cette concentration sur le Baroque n’exclut pas la musique d’autres époques. Je suis particulièrement attiré par les compositeurs post-modernes tels que Ola GJEILO, Urmas SISASK et bien d’autres. À bien des égards, le Baroque a nourri ces artistes. Les techniques vocales nécessaires à l’exécution de leurs œuvres sont identiques, le vibrato maitrisé par exemple pour une parfaite homogénéité et pureté du son. La façon de gérer la couleur vocale et le phrasé sont souvent assez proches.

Vous semblez aussi passionné par la formation vocale de jeunes chanteurs, et la création de Maitrise ?

Oui, c’est autant une passion, qu’une formidable occasion de transmettre ce patrimoine culturel du chant choral. Le Conservatoire de Musique et de Danse de Fouesnant – l’Archipel m’a donné cette formidable opportunité en me confiant la formation d’une Maîtrise en 2015. Six ans plus tard nous commençons à vivre de magnifiques moments musicaux et humains, à travers l’interprétation de grandes œuvres. Nous venons par exemple de finir une série de concerts autour de la Messe de Minuit de Marc-Antoine CHARPENTIER avec orchestre. Quand les enfants chantent avec une voix libre, pleine de musicalité et d’entrain, il se produit une dimension magique indescriptible.

Pierre-Emmanuel CLAIR, parcours musical

Depuis 2012 en Finistère

• Professeur de chant choral et de chant classique ainsi que direction de la Maîtrise d’enfants au Conservatoire de Musique et de Danse de Fouesnant – l’Archipel
• Chef de chœur de l’ensemble vocal TALEA
• Chef du chœur fouesnantais l’Écho des Vagues
• Accordeur de piano, clavecin et orgue positif, spécialiste des tempéraments

Son parcours musical

• Violon et piano au Conservatoire de musique et de danse à Martigues (années 1980)
• Formation vocale lyrique avec la célèbre basse internationale, Jean-Marc LOISEL (1993-2000)
• Master class et stages de formation vocale lyrique auprès de Montserrat CABALLE, Bonaldo GIAOTTI et Georges LICCIONI (2000-2002)
• Formation vocale contemporaine et Baroque auprès de Patrice BALTER, chanteur de l’ensemble Musicatreize (2002-2005)
• Formation d’accordeur de piano (2002-2008)
• Stages de direction d’orchestre avec Dominique ROUITS, professeur à l’Ecole normale de musique de Paris (2002-2008)
• Perfectionnement en direction de chœur au Conservatoire régional de Rennes auprès de Régine THEODORESCO (2013)
• Formation Basse Continue auprès de Jérôme BRODIN, diplômé d’un Master de Clavecin au Conservatoire d’Utrecht (depuis 2020)
• Perfectionnement en direction Baroque auprès de Christian RICHE (depuis 2020)
• Recherches permanentes sur la pédagogie et la technique vocales
• Formation et recherche sur les tempéraments musicaux anciens

Publications

• CLAIR, Pierre-Emmanuel. « Le motif de la malédiction, éléments d’analyse et d’interprétation du langage Verdien. » Analyse Musicale, N° 70, Anniversaires Wagner-Verdi, avril 2013, pp. 78-88.
• CLAIR, Pierre-Emmanuel. « Rhétorique musical Baroque et direction musicale, d’une historicité à une interprétation moderne. » Article en préparation, 2022.

Qualifications

• Diplômé d’harmonie, contrepoint et composition du CNRR de Marseille (2009)
• Diplômé en direction de chœur au Conservatoire national de Marseille auprès de Roland HAYRABEDIAN (2010)
• Master II en musicologie de la Faculté des arts, lettres, langues et sciences humaines en Aix-en-Provence (2010)
• Enseignement du chant classique pour adulte et enfants
• Accordeur de Piano, Clavecin, Orgue