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La Sestina – Claudio Monteverdi

Lagrime d’amante al sepolcro dell’amata

La Sestina est l’un des chefs d’œuvre du Madrigal, que nous avons la chance d’interpréter. Nous vous proposons quelques clefs d’écoute.

En 1608, Caterina MARTINELLI, élève prodige de Claudio MONTEVERDI, décède. En son honneur est composée une œuvre poétique et musicale, la Sestina, « Les Larmes de l’Amant au tombeau de l’Aimée ». Six strophes s’enchaînent dans les étapes du deuil et de la douleur de Glauco…

La sestina est un texte de 6 strophes comprenant chacune 6 vers qui ne riment pas entre eux, mais se terminent, dans toutes les strophes, par les mêmes mots-rimes se succédant selon le principe de la rotation croisée, soit :
ABCDEF
FAEBDC
CFDABE
ECBFAD
DEACFB
BDFECA.

Cette rotation se fait sous forme de spirale, symbole, important dans le Baroque, du temps à la fois linéaire et cyclique.

Voici une visualisation de cette « spirales des rimes », sachant que par rapport au schéma canonique, la sestina d’Agnelli est irrégulière entre la première et la deuxième strophe. A partir de la troisième, elle est à nouveau conforme a la règle.

L’envoi (congedio), de trois vers, comprend trois mots-rimes a la rime et trois en rimes intérieures.

1 – Incenerite spoglie, avara tomba

Incenerite spoglie, avara tombaA Dépouilles réduites en cendres, avare tombe
Fatta del mio bel Sol, terreno Cielo, E devenue le ciel terrestre de mon beau soleil,
ahi lasso! I’ vegno ad inchinarvi in terra. C ah lasse, je viens m’incliner sur votre terre.
Con voi chius’è ‘l mio cor a marmi in seno, D Avec vous, dans ce marbre est enfermé
e notte e giorno vive in foco, in pianto, B mon cœur, et nuit et jour, Glauco le tourmenté,
in duolo, in ira, il tormentato Glauco. F en pleurs et en feu, vit dans la douleur et la colère.

2 – Ditelo, o fiumi e voi ch’udiste Glauco

Ditelo, O fiumi, e voi ch’udiste GlaucoF Dites-le, ô rivières, et vous, campagnes désertes
L’aria ferir dì grida in su la tomba, A qui entendirent Glauco blesser l’air de ses cris
Erme campagne – e’l san le Ninfe e ‘l Cielo: E sur la tombe; les nymphes et le ciel le savent:
A me fu cibo il duol, bevanda il pianto, B ma nourriture fut la douleur, les larmes furent ma boisson,
– Letto, O sasso felice, il tuo bel seno – D et mon lit, ton beau sein, ô heureuse pierre,
Poi ch’il mio ben coprì gelida terra. C depuis que la terre glaciale, recouvrit mon amour

3 – Darà la notte il sol

Darà la notte il sol lume alla terraC La nuit donnera la lumière du soleil à la terre,
splenderà Cintia il di, prima che Glauco F et Cynthie [la lune] resplendira le jour avant que Glauco
di baciar, d’honorar lasci quel seno D ne cesse de baiser et d’honorer ce sein
che fu nido d’Amor, che dura tomba A qui fut nid d’amour et que presse une dure tombe;
preme. Nel sol d’alti sospir, di pianto, B et les bêtes sauvages et le ciel ne seront pas
prodighe a lui saran le fere e’l Cielo. E seuls prodigues de profonds soupirs et de larmes.

4 – Ma te raccoglie, o ninfa

Ma te raccoglie, O Ninfa, in grembo ‘l cielo. E Mais c’est toi que le ciel accueillera en son sein.
Io per te miro vedova la terra C Moi, je contemple pour toi la terre veuve et les bois
deserti i boschi e correr fium’il pianto; B déserts, et je regarde couler le sanglot des rivières.
e Driade e Napee del mesto Glauco F Et les dryades et les napées redisent
ridicono i lamenti, e su la tomba A les plaintes du triste Glauco, et sur la tombe,
cantano i pregi dell’amante seno. D chantent les charmes du cœur aimé.

Les dryades sont, dans la mythologie grecque, les nymphes liées aux arbres en général et plus particulièrement aux chênes. Elles sont généralement considérées comme des créatures très timides qui se montrent rarement ; les napées sont les nymphes des vallées boisées, des vallons et des grottes.

5 – O chiome d’or, neve gentil del seno

O chiome d’or, neve gentil del seno D O cheveux d’or, noble neige du sein,
O gigli della man, ch’invido il cielo E lys de la main que le ciel envieux nous ravit
Ne rapì, quando chiuse in cieca tomba, A (puisqu’enfermées dans une tombe),
Chi vi nasconde? Ohimè! Povera terra C qui vous cache à présent? Hélas, c’est une pauvre terre
II fior d’ogni bellezza, il Sol di Glauco F qui cache la fleur de toute beauté, le soleil de Glauco.
Nasconde! Ah! Muse! Qui sgorgate il pianto! B Ah, muses, laissez s’épancher les larmes !

6 – Dunque amate reliquie

Dunque, amate reliquie, un mar di piantoB Dépouilles aimées, ces yeux ne verseront-ils
Non daran questi lumi al nobil seno D donc pas une mer de pleurs au noble sein
D’un freddo sasso? Eco! L’afflitto Glauco F d’une pierre froide? Voici que Glauco affligé
Fa rissonar «Corinna»: il mare e ‘l Cielo, E fait résonner la mer et le ciel au nom de «Corinne» ;
Dicano i venti ogn’or, dica la terra C que les vents et la terre clament à jamais :
«Ahi Corinna! Ahi Morte! Ahi tomba!» A «Ah Corinne ! ah Corinne ! ah mort ! ah tombe !»
Congedio :Envoi :
Cedano al pianto i detti; amato seno, B/D Que les mots s’effacent devant les larmes; sein aimé,
A te dia pace il ciel ; pace a te, Glauco, E/F Que le ciel te donne la paix; paix à toi, Glauco.
Prega, honorata tomba e sacra terra. A/C Prie une tombe honorée et une terre sacrée.

Le prénom de Corinne se réfère sans doute à la maîtresse qu’Ovide chante dans Amores.